Guillaume Ancel n’a rien d’un soutien de la Palestine. Mais ce lieutenant-colonel en retraite, qui a se(r)vi notamment au Rwanda, au Cambodge et en Bosnie, est un expert en matière de dégâts occasionnés par les différents types de bombes. Or, selon son analyse, le vrai chiffre des victimes de l’attaque de l’Etat terroriste se situerait entre 60 et 70 000 morts, dont 80% de « victimes collatérales » et plus de 200 000 blessés.
Il est permis de ne pas être d’accord avec sa négation d’un génocide en cours, ramené à de « simples » crimes de guerre, mais ses explications techniques, quant à elles, valent le coup d’être regardées. Extrait.
(…) Même si les objectifs de guerre affichés par Netanyahou avaient été atteints, il serait impossible de justifier pour autant les pertes causées par cette opération.
L’état-civil tenu par le Hamas, tout comme le « ministère de la santé » de la bande de Gaza ne sont plus en mesure de « compter les morts », puisque l’administration de ce territoire a concrètement implosé depuis le début de l’année 2024 : plus rien ne fonctionne sur ce champ de ruines où le simple fait de le parcourir est un danger omniprésent.
Les chiffres publiés par le Hamas (35,000 morts et plus de 10,000 disparus) sont ceux d’un thermomètre cassé tenu par une main moins qu’innocente. Ils ne correspondent plus à rien.
L’ONU a voulu examiner ce bilan et en a déduit des aberrations qui lui font diminuer d’un tiers ces chiffres pour un total de 25,000 morts (sans prendre en compte les disparus). « Intéressant » travail sur des données qui n’ont pourtant aucune pertinence, si ce n’est d’être une petite partie du sujet. Ces chiffres ne sont plus représentatifs de la réalité.
Compte tenu de la puissance des bombardements sur Gaza, le bilan se situe plutôt entre 60 et 70 mille morts
Je ne suis ni démographe ni statisticien, mais mon analyse s’appuie sur du Bomb Damage Assessment (estimation du résultat des bombardements) qui fut mon métier pendant quelques années. Peu de personnes ont cette pratique qui consiste à estimer les dégâts en fonction des munitions utilisées, des cibles visées et de leur environnement.
Le trend actuel de l’offensive Netanyahou contre Gaza se situe entre 9 et 10 mille morts par mois, soit environ 300 morts par jour liés aux 300 bombardements quotidiens (ceci est une moyenne car certains jours sont beaucoup plus intenses). Ce trend correspond à ce que fait un GPS lorsque vous rentrez sous un tunnel et qu’il perd le signal satellite : il ne mesure plus la distance parcourue mais l’estime en considérant la vitesse à laquelle vous roulez et le temps écoulé.
Ces 300 bombardements quotidiens se décomposent ainsi :
1/3 sont des tirs d’artillerie, soit une salve de 10 à 30 obus de 155 mm qui détruisent en surface l’équivalent d’un terrain de football.
1/3 sont des missiles ou des bombes aériennes avec des charges allant de 25 à 450 kg qui font des dégâts collatéraux en proportion de leur puissance.
Le dernier 1/3 des bombardements est le plus problématique parce qu’il utilise des bombes d’une tonne (en fait 920 kg) qui sont des « ravageuses » dans la mesure où les dommages collatéraux sont dix fois supérieurs à la cible visée compte tenu de sa puissance trop concentrée. Tsahal en utilise en moyenne 100 par jour depuis le début de l’opération, soit 3,000 par mois.
La bombe d’une tonne, de type Mk84, est réservée à des objectifs très particuliers, bunker important, immeuble complet, et ne peut être utilisée contre un sous-terrain dans un milieu très urbanisé comme Gaza sans provoquer des destructions massives. Malheureusement, ces bombes d’une tonne constituent la moitié des munitions aériennes utilisées par Tsahal dans cette opération contre la bande de Gaza, quand elles n’auraient dû en représenter que quelques pourcents… à moins de vouloir tout dévaster.
Un environnement inadapté à ce type de bombardement
L’environnement étant constitué par un camp de réfugiés en surdensité (2,4 millions d’habitants sur 365 km2) et assiégé (aucune possibilité de fuites), chaque bombardement fait en moyenne une victime au minimum. Ceci est une projection « à dire d’expert » qui malheureusement est globalement sous-estimée.
Cette évaluation est cohérente avec les chiffres publiés lors des trois premiers mois d’offensive, Tsahal affichant ce rythme de bombardement (mais elle n’avait pas précisé la proportion de bombes d’une tonne alors que le standard de référence est plutôt la munition de 225 kg beaucoup moins destructrice).
En face, l’état-civil tenu par le Hamas affichait environ 30 mille morts et disparus début janvier, en 3 mois de bombardements, soit effectivement 9 à 10 mille morts par mois.
Certes, les bombardements (fréquence et puissance) ne sont pas identiques dans chaque période, mais sur 7 mois la tendance est malheureusement « uniforme » et leur projection sur cette durée relativement longue est pertinente, le ratio de 9 à 10 mille morts est réaliste, en l’absence de mesures devenues impossibles sur le terrain. Les bombardements sont la première cause de mortalité, loin devant les combats au sol et sans considérer l’impact de la crise humanitaire qui fauche toujours les populations les plus fragiles (enfants, personnes âgées, malades…).
Autant de victimes sur Gaza qu’à Hiroshima
Avec 7 mois de bombardements et de combats, le bilan projeté en termes de victimes des opérations militaires se situe donc dans une fourchette de 60 à 70 mille morts. Il s’agit bien du double du bilan affiché aujourd’hui, ce dernier n’ayant plus de sens, personne n’étant en mesure de relever physiquement les décès.
Certes, le Hamas aurait intérêt à maximiser « son » bilan, mais il a perdu pieds sur le sujet tandis que son état-civil est réputé comptabiliser des décès tracés (certificats). Il lui est donc difficile de modifier désormais cette « comptabilité » qui d’ailleurs reste bloquée autour de 35 mille morts et 10 mille disparus malgré le rythme toujours aussi intense de bombardements.
Ces chiffres de 60 à 70 mille décès sont cohérents avec les résultats affichés par Tsahal qui revendique entre 8 à 10 mille miliciens du Hamas tués.
Hypothèse basse : 10 k miliciens pour 60 k morts -> 17% de cibles atteintes, soit 83% de dommages collatéraux.
Hypothèse haute : 8 k miliciens pour 70 k morts -> 11% de cibles atteintes, soit 89% de dommages collatéraux.
Compte tenu de l’armement utilisé, le taux de victimes collatérales (c’est-à-dire de morts qui n’étaient pas des cibles) se situe effectivement entre 80 et 90%, ce qui est une conséquence directe de ces bombardements massifs et inadaptés. Pour mémoire, lorsque Israël déclenche une frappe ciblée contre un terroriste à Beyrouth, les dommages collatéraux sont de l’ordre de 10%.
Le nombre de blessés s’obtient par un coefficient multiplicateur compris entre 3 et 4, soit entre 180 et 280 mille.
A fin mai 2024, l’offensive Netanyahou contre la bande de Gaza, en l’absence de décompte traçable des victimes, a probablement causé la mort de 60 à 70 mille personnes et fait plus de 200 mille blessés, dont au moins 80% sont des victimes collatérales.
C’est le bilan du bombardement d’Hiroshima. (…)
Source : le blog de Guillaume Ancel : https://nepassubir.fr/2024/05/26/offensive-contre-gaza-un-bilan-catastrophique-pour-netanyahou-quelles-consequences-pour-israel/